Où en est l’Allemagne?


Les regards croisées entre la France et l’Allemagne sont compliquée et souvent légèrement parfumée de compétition. De si bonnes amies, qui s’observe attentivement afin d’arrêter si l’une a ce que pourrait manquer à l’autre… En ce moment, il manque en Allemagne le ‘blink-blink’, qui a pris possession de l’outre-Rhin. Sous le règne modeste d’Angela Merkel, chancelière pas des tons forts, l’Allemagne vit ces petits ou grands changements d’une manière presque inaperçu. Et pourtant, il y en a, des changements.

L’Allemagne, grand tank, ne change pas vite, mais d’une manière soujacente, l’Allemagne réunie n’est plus ce qu’elle était avant. De la politique à la société, l’Allemagne d’aujourd’hui ne ressemble guère au grand pays vital ancré sereinement dans l’Europe. D’abord, l’Allemagne est en blocage politique due à la grande coalition, qui n’est qu’un dernier ressort, constellation mal aimé par toutes les forces politiques. La dernière grande coalition (1966-1969) fut la nécessaire expression d’un temps de transition, pour passer, en douceur, après 17 ans d’un gouvernement conservateur de Konrad Adenauer à une coalition social-démocrate en 1969, devenue uniquement possible parce que le SPD (parti social-démocrate) avait finalement passé un program réformiste et modéré à sa réunion de parti historique à Bad Godesberg en 1958. Inimaginable pour un français, habituer un mouvement communiste assez fort jusqu’au début des années 80, de détecter à quelle point le mur, la proximité du communisme, avaient mit un fardeau sur tout qui se disait de gauche en Allemagne à l’époque. Le SPD est devenu éligible uniquement quant il s’est distancier de l’est.

Cette fois-ci, les chances sont grandes que la grande coalition se perpétue, non pas pour déclencher une transition et du nouveau, mais parce que les ‘grands partis populaires’, la CDU au centre-droite et le SPD au centre-gauche, sont tout les deux au bout de leurs forces – et peuvent faire toilette qu’ensemble. Pendant quelque 40 ans, le système politique de l’Allemagne était fondé sur le fait qu’une des deux grands partis arrivent au delà de 40% des votes, et fait coalition avec une petit parti, sachant que l’on reporte la majorité des sièges avec quelques 46% des votes vues les spécialités du système électoral allemand. Quant aux petits, ce fut longtemps uniquement le parti libéral, FDP, qui avait le rôle du ‘King-maker’, avant que les Verts ont vu la lumière du jour au début des années 80. Cette stabilité a déjà pris des fissures dans les années 90, mais maintenant, il est en train de s’effriter carrément, sinon de voler en éclat. Après les récentes élections régionales en Hesse, dernières de toute ne série, il parait évident que l’Allemagne va devoir vivre avec (au moins) cinq partis : La Gauche (‘Die Linke’), parti restitué de l’ex-RDA, a le vent en poupe et est en progrès partout. Le phénomène ne s’arrête plus aux nouveau Länder à l’est. Et cinq, cela fait trop, pour qu’une arrive à plus de 40%. Le nouvel état politique de l’Allemagne, c’est cela : un système politique en plein décomposition, des habitudes électorales à laisser, des nouvelles formes de gouvernement à explorer, puisque ni le CDU, ni le SPD, suivant non seulement des sondages actuelles, mais des tendances visibles sur plusieurs années maintenant, ont une chance réelle de regagner les 40% et de rétablir les bons temps de jadis. Les grands partis perdent leurs franges – expression d’une fragmentation et d’une fragilisation de la société croissante d’ailleurs - et ceci secoue l’Allemagne. Le SDP perd à ‘Die Linke’, et le CDU au DVU (parti de l’extrême droit), si elle ne perd aussi à ‘Die Linke’, puisque les extrêmes se touchent. Il est largement gardé sous le couvercle que, surtout dans certaines régions de l’Allemagne de l’est, le vote de l’extrême droite atteint les 20%.

Le ‘Que faire’ galope sur les gazettes, non seulement, en ce moment, avec la Hesse en vue, mais, d’une manière plus fondamentale, les prochaines élections nationales en 2009. Si deux partis, un grand et un petit, ne font plus l’affaire, il faut une coalition à trois, mais les ménages à trois sont difficiles. Au choix sont ce que l’on appelle ‘coalition Jamaïque’ (comme le drapeau jamaïquain noir/ vert/jaune, donc : conservateur, libéral, vert) ou rouge foncé/ rouge/ vert, donc : gauche, social-démocrate et vert. Pour beaucoup d’allemand, les deux scénarios sont traumatisant, d’où la possible pétrification de la grande coalition comme plus petit mal. La question la plus discuté dans les journaux ces dernières semaines fut si le SPD devrait s’ouvrir à la Gauche – en Hesse d’abord et ensuite au niveau national. Mme Ypsilantes, SPD, qui arrivait première en Hesse, s’était engagé de ne pas gouverner avec la Gauche, mais se prêtait à changer de cours, puisqu’elle manquait des votes. C’est uniquement parce que, en dernière minute, une autre députée SPD a refusé de lui donner son vote dans ce cas, la rupture d’une promesse électorale fut empêché – laissant le SPD et son patron, Kurt Beck (qui avait encouragé Mme Ypsilantes), dans un état lamentable.

Est-ce l’effritement du système partisan allemand est la faute de Madame Merkel ? Non ! Angela Merkel a plutôt hérité une situation politique pourrit, à laquelle elle pouvait opposer uniquement cette politique du plus petit dénominateur commun qu’offre une grande coalition.
Tout n’était pas mauvais quand elle a pris ses fonctions. D’abord, elle a largement bénéficié des grandes et douloureuses réformes sociales engagées sous Gerhard Schröder, dites ‘Harz IV’. Ces réformes furent probablement les réformes plus amples, surtout les plus structurelles, que l’Allemagne d’après guerre a vues.

Ces réformes ont porté leurs fruits – une croissance économique juteuse, une industrie parfaitement restructuré, un excédent commercial impressionnant et une dette enfin en dessous de 3% du PIB en 2007 – que la France a enviée. Mais ceci fut payé avec une précarisation de la société qui grimpe inlassablement jusqu’aux souches moyennes, et c’est cela que le vote reflète : moins pour le milieu. Le jeune historien allemand, Paul Nolte, a fait furore, il a deux ans, avec son livre sur l’Allemagne divisée, réclamant que l’Allemagne, pays égalitaire et égalisée depuis la guerre, a à nouveau une classe populaire, plutôt : une classe simplement pauvre. Derrière le volants du pays qui portait la notion du ‘Wirtschaftswunder’ de jadis comme une monstrance dans son vocabulaire, un enfant sur cinq vit en pauvreté aujourd’hui selon des statistiques internationales, pour ne citer qu’ne chiffre comme illustration.

Il est difficile de décerner les grandes lignes politiques et idéologiques – à ne parler des nouvelles lignes – dans l’amalgame politique qu’une grande coalition impose. Angela Merkel est libéral et défend les réformes. Mais elle a permis au SPD d’en grignoter des petits bouts, par exemple les allocations pour les chômeurs plus âgés de 55 ans ont été rallongés au delà d’une année à nouveau (18 mois maintenant). Les grandes réformes de l’état, par exemple la réforme du système fédérale, pannent, la modernisation peine, les 16 Länder pèsent énormément, phénomène ou problème largement méconnu en France.

En politique domestique, Angela Merkel occupe plutôt les ‘petits’ dossiers, qui pourtant ont une grande résonance. La femme qui, contraire à Mme Ségolène Royale, a presque caché en campagne qu’elle était femme et qui ne volait jamais sur un ticket d’émancipation, est en train de révolutionner la parité en Allemagne. Plus exactement, pas elle-même, mais sa ministre pour femmes et politique de famille, Ursula von der Leyen.

C’est un peu comme Francois Mitterrand, élu à gauche, a fait la politique économique la plus libérale pour ne pas dire conservateur, qu’Ursula von der Leyen, mère de sept enfants, en pleine milieu du fort conservateur, lutte pour des crèches et de la garde des petits, afin de permettre aux femmes de retourner en emploi. Difficile à imaginer pour une française ou un français, habitué aux nounous, les crèches et l’école maternelle non seulement l’état médiéval de l’Allemagne en terme de garde d’enfants, mais aussi la dimension idéologique que cette bataille politique prends. La maman à la maison, c’est encore la norme. La ‘mère corbeau’ (‘Rabenmutter’) est la stigmatisation de la maman qui quitte le foyer pour travailler. Ce que fait la femme – rester au foyer ou travailler – divise l’Allemagne, plus précisément, laquelle de ces conceptions vaut quel support fiscal.

A peine, Mme von der Leyen avait libéré de l’argent pour construire de crèches (uniquement 3% des enfants en dessous de trois ans sont en crèches publiques en Allemagne, comparé à plus de 60% en France !), l’aile conservateur réclamait que les femmes qui restent au foyer – donc qui n’utilise pas ce ‘service’ étatique - devraient bénéficier d’un transfert financier direct en compensation, pour donner un réel ‘choix libre’ aux femmes. Comme si ceux qui n’utilisent pas les piscines publiques sont remboursés en retour, on pourrait remarquer. Les lignes de débat ne se concentrent pas uniquement sur les flue d’argent. Les crèches ont de plus en plus un aspect d’éducation et d’intégration sociale, surtout pour des familles d’origine migratoire ou d’un milieu sociale faible et non-éduqué. Ceux qui critiquent les transferts directs mettent en avant, que ce sont surtout ces familles qui préfèrent d’encaisser l’argent, mais en même temps dérivent leurs enfants – qui en auront le plus besoins – d’une éducation approprié en bas âge.

La deuxième mesure – à ce jour un grand succès – fut l’introduction d’un ‘argent parental, couvrant jusqu'à 80% du salaire du parent qui reste à la maison (mais plafonné à 1800,- Euro) pour une durée de 18 mois. En effet, le taux de natation a augmenté en Allemagne l’année dernière d’une manière significative. Il n’empêche que les statistiques montrent que l’incitation financière est plus séductrice pour les femmes à bas salaire ou celles qui n’ont pas de travail du tout, puisque 60% des femmes de celles qui reçoivent l’argent parental une année après son introduction reçoivent la somme minimal de 300,- Euro. Le problème de l’Allemagne, par contre, est que les femmes qualifiées (60% des femmes diplômées) n’ont plus ou guère d’enfants.
La garde des enfants y compris sa dimension sociétal et économique – participation des femmes à la main d’œuvre – n’est que un des grands sujets de modernisation, mais qui tardent tous en Allemagne. Le système d’éducation, la démographie, l’intégration, surtout de ceux qui viennent des pays musulman (question qui impacte sur la position allemande quant à l’entrée de la Turquie en UE), voilà les trois grand sujets et à la fois problèmes de l’Allemagne. L’Allemagne aujourd’hui, c’est en grande partie un pays âgé qui a perdu son laque et ou on sent encore la pesanteur de la réunification, même 18 ans après.

C’est peut-être pour cela qu’Angela Merkel s’est échappée en politique extérieure les premières deux ans de son mandat. Et c’est là aussi, qu’elle a un bilan et du succès. D’abord en politique européenne ou, au-delà du ‘blink-blink’ français et de ce volontarisme d’être au premier rang, Angela Merkel profite d’un effet de seigneuriage, justement parce qu’elle est modeste, mais ferme et sure d’apparition. Entre le règlement du budget européen en 2005, immédiatement après sa victoire, et une présidence européenne non pompeux, mais couronnée de succès, qui a achevé le Traité de Lisbonne et donc sauvé ce qui reste du projet constitutionnel européen, Mme Merkel a donné une mesure inlassablement régulière, mais sans exaltation à plus de progrès en intégration européen. Ensuite, ferme avec Putin et Bush, elle a repris en main les grandes lignes de la politique internationale. Fermeté vis-`s-vis de la Russie, alliance transatlantique rénovée, réaffirmation de l’importance des relations Germano-israélien (acte symbolique clé en vue de la crise sur les armes nucléaires de l’Iran) et une Europe coopérative et multilatérale, surtout en ce qui concerne les grands problèmes mondiaux, spécialement la protection du climat, politique que Mme Merkel s’est écrit sur ses drapeaux. Encore que là aussi, sur la scène international, par exemple quant il s’agit de l’envoie des troupes en Afghanistan, l’engagement grince, le pays ne suit pas.

Car, c’est peut-être cela, la chose plus importante à saisir : plus que l’Allemagne sombre dans ces problèmes intérieures – vieillissement alertant, modernisation étatique en panne, migration mal maitrisé, éducation en baisse, réformes sociaux problématique, fragmentation et précarisation de la société en progression, système électoral dérouté – son poids, mais aussi sa responsabilité et sa demande dans la communauté internationale grandit (et aussi son ambition de retourner sur la scène mondiale – voir par exemple sa demande d’une siège au Conseil de Sécurité aux Nations Unies). Mais comment être un grand acteur dans un monde mondialisé, si on a du mal d’encaisser les chocs de la mondialisation? Remplir ce gap entre prétention et réalité, ce sera le grand défi de l’Allemagne pour le 21ème siècle. Encore faudrait-il que l’Allemagne ne se détourne pas de l’Europe - puisqu’elle a plus que jamais besoin d’elle - au lieu de donner des signaux d’un nationalisme naissant. L’Allemagne a longtemps porté l’Europe ; maintenant, il faudrait que les forces dynamiques de l’Europe la poussent un peu sur le chemin de la modernisation. Et la France là-dedans? Il semble qu’elle a le problème. Les regards croissant entre la France et l’Allemagne sont compliquées et souvent légèrement parfumées d’une compétition….


Ulrike Guérot